2017-02-GalaÀ trente ans, Lucie Lucas est sur tous les fronts: mater­nité, tour­nage, envies de ciné­ma… Des ambi­tions qu’elle paye. Verdict du psy: se repo­ser.

« T’as pas déjeuné ? Prends ton assiette, on va dans ma chambre. » Elle est directe, sympa­thique et vive. Nous lui emboî­tons le pas, un plat de lasagnes sous cello­phane à la main, pour mener l’in­ter­view sur le rebord de son lit d’hô­tel à Luchon, où se déroule le Festi­val de la fiction. Des regards nous suivent, envieux. Ce sont ceux des hommes. Lucie Lucas ressemble à une prin­cesse Disney qui s’ignore : traits parfaits sans une touche de maquillage et silhouette de rêve dissi­mu­lée sous un gros pull pudique. Sa chambre, petite, est presque en sous-sol, elle soupire : « Ils m’ont dit : les suites sont réser­vées aux huiles… » Polie, elle relève à peine l’af­front. Non feinte, sa simpli­cité enjouée lui joue des tours. Sur ses épaules, l’ac­trice porte pour­tant une marque à succès, la série Clem qu’elle incarne sur TF1. « A un moment, explique-t-elle, quand l’hé­roïne est tombée enceinte, il y a eu un baby-boom chez les ados. Nous avons une respon­sa­bi­lité, tout ne doit pas paraître trop facile. »

2017-02-Gala-cLa faci­li­té… un mot qui ne lui parle pas ou plus. La voici au bord de l’épui­se­ment. La prin­cesse est surme­née. Trop d’exi­gence envers elle-même, trop de travail, trop d’am­bi­tions paral­lèles, trop d’injonc­tions à la perfec­tion l’ont fati­guée ces derniers temps. Elle recon­naît l’iné­ga­lité entre les sexes : « Faire du sport, être jolie, assu­rer en tant que mère, réus­sir sa carrière, la pres­sion mise aux femmes est énorme. » Bien sûr l’ef­fort paie : « Depuis ma scène d’amour dans un film d’au­teur copro­duit par le réali­sa­teur Jim Jarmush, les gens du métier me voient enfin comme une femme. J’avais besoin de quit­ter les sphères de l’adoles­cence. Ça ne fait que deux ans que, dans la rue, les gens m’ap­pellent enfin Lucie et non Clem. » Les portes s’ouvrent. « Il y a encore trois ou quatre ans, je me faisais refou­ler des boîtes de nuit pendant le Festi­val de Cannes. Aujourd’­hui, c’est terminé, on m’in­vite. »

Dans la vraie vie, Lucie Lucas est une warrior. Mère de deux petites filles, Lilou, six ans et Moira, cinq ans, conçues avec son amou­reux depuis ses dix-neuf ans et rencon­tré pour la première fois en quatrième – « A l’époque, il ne me regar­dait pas et puis, un jour, on s’est recroi­sés par hasard à la gare Saint-Lazare et là il a tout noté : mon portable, mon fixe, mon mail, mon adres­se… » –, elle a tracé très vite. « Le premier enfant à vingt-trois ans alors que j’étais en plein tour­nage du premier épisode de la série et que je ne m’y atten­dais pas et le second huit mois plus tard, pas prévu non plus, mais on a assuré comme on a pu. Il a assumé, moi aussi. » 2017-02-Gala-bEnsemble, ils ont bricolé un équi­libre pour lui permettre de faire carrière. Elle dans la lumière, lui dans l’ombre, endos­sant le rôle plus discret de père au foyer, rangeant dans un tiroir du mobi­lier conju­gal son diplôme d’in­gé­nieur. Elle dit : « Main­te­nant ça serait bien qu’il s’épa­nouisse en dehors de la famille, il m’a beau­coup soute­nue, je suis assez encom­brante. » Comprendre par là surboo­kée et donc légè­re­ment angois­sée : gérer le présent, gérer l’après, avoir d’autres projets, encore faut-il pouvoir quand on tourne non-stop pendant six mois de l’an­née…

Des problèmes de riche, elle le concède. « Récem­ment, donc, je me suis retrou­vée à bout et fina­le­ment ça a été posi­tif. Je suis allée voir un psy. Ensemble, nous avons redé­fini mes prio­ri­tés. Souvent on en a, et on les perd de vue. Si on ne prend pas du temps pour rêver, se retrou­ver, aimer ses proches, on ne gran­dit pas. Je ne veux pas mourir de frus­tra­tion, je veux accom­plir mes rêves. » Bien­tôt, Lucie a prévu un truc fabu­leux, qui la fait sacré­ment planer : « Ne rien faire ». Chez elle, dit-elle « elle regar­dera gamba­der ses lapins ou tour­ner ses pois­sons rouges, une occu­pa­tion incroya­ble­ment apai­sante. » Mais sait-elle vrai­ment s’ar­rê­ter ? Comme on ne se refait pas et qu’elle n’est pas du genre à lézar­der sur son canapé, elle a aussi prévu de recou­rir au yoga et à la médi­ta­tion. Puis de s’in­ves­tir dans des asso­cia­tions. Elle avoue notam­ment « une passion pour les héros ordi­naires ». Avec l’argent qu’elle a gagné, l’ac­trice a investi dans des loge­ments, à Asnières. Elle les loue, moins cher que sur le marché immo­bi­lier, à des gens « dont les dossiers ne sont pas bons : un couple de réfu­giés syriens, une maman céli­ba­taire avec deux enfants, un des orga­ni­sa­teurs du défilé HandiFa­shion, un homme formi­dable. » Elle leur a fait confiance, ils le lui rendent. C’est son petit conte de fées à elle qu’elle voudrait parta­ger.

Lucie voudrait aussi se battre contre le harcè­le­ment scolaire, pour une nour­ri­ture bio, contre les poli­ti­ciens de métier, pour son entrée dans le cinéma améri­cain. Elle voudrait réali­ser, écrire et prendre le temps de câli­ner ses filles. En atten­dant, on lui souhaite de s’ins­tal­ler sur une chaise longue, quelque part, sous un coco­tier. Même les prin­cesses modernes, qui font penser aux cheva­liers de jadis, ont besoin de souf­fler.

par Séverine Servat